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Interview : Fabien Toulmé « J’aime beaucoup la bande dessinée de reportage, travailler sur le réel et le vécu des gens »

Dans le cadre du Beirut Comic Art Festival/Beyrouth BD Festival, la rédaction de YomKom a rencontré Fabien Toulmé. Auteur de “Ce n’est pas toi que j’attendais“, “L’Odyssée d’Hakim », “Suzette ou le grand amour“, et tant d’autres récits. L’occasion de revenir sur sa carrière et plus particulièrement sur “L’Odyssée d’Hakim », qui raconte le périple qu’a vécu Hakim et sa famille, réfugié Syriens qui ont traversé l’Europe pour rejoindre la France.

Interview de Fabien Toulmé, son parcours, ses thèmes, ses vécus poignants, portraits de periples de réfugiés…

Revenons quelque peu sur votre parcours, auparavant vous étiez dans le génie civil, puis vous vous êtes tourné vers la bande dessinée. Pourquoi et comment êtes-vous arrivés dans ce domaine ?

La bande dessinée c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire étant petit. Et puis en grandissant, parfois, on s’éloigne de ses rêves. Là en l’occurrence c’était dans l’idée d’aller vers un métier plus sûr, car les métiers artistiques sont hyper concurrentiels, on n’est jamais sûr d’y arriver. Je me suis donc lancé dans des études d’ingénierie civile, avec mon diplôme en poche je suis entré dans la carrière d’ingénieur. Une carrière qui va durer 12 ans, au cours de laquelle je vais d’abord totalement oublier mon projet d’enfance de faire de la bande dessinée. Puis petit à petit, au fur et à mesure que les boulots s’enchaînent et que j’aime de moins en moins ce que je fais. Cette idée de faire de la bande dessinée va revenir. Puis à un moment donné, j’ai 29 ans, et je me dis que je suis dans un métier qui ne me plais pas, qu’il me reste 35 ans à travailler et que si je ne veux pas vivre un calvaire jusqu’à ma retraite il faut que je change de vie.

Gros plan dessin et dedicace fabien Toulmé

Fabien dédicace Odysee d’Hakim qu’il publie chez Delcourt

D’une manière générale vous abordez de nombreux thèmes, certaines de vos œuvres racontent des histoires compliquées, souvent tristes. D’autres sont beaucoup plus humoristiques et joviales. Comment choisissez- vous vos sujets ?

A vrai dire, je n’ai pas la sensation de les choisir. C’est très bateau de dire ça mais j’ai l’impression que ce sont les sujets qui viennent à moi. C’est en fonction d’événements que je vais vivre, de choses que je vais voir et entendre. Ça me donne envie d’en parler, de le raconter. Pour faire simple, je me laisse guider par mon instinct et mes envies. Il n’y a pas un instant ou je me demande de quoi je vais parler, les idées viennent naturellement.

Vous abordez différents registres, l’autobiographie, le témoignage, la fiction, … Vous avez des préférences pour un genre en particulier ? Des facilités ?

Ce que j’aime bien c’est alterner, passer d’un registre à l’autre.  {…} Ce qui est compliqué en bande dessinée c’est que c’est un médium très lent. Pour finaliser une bande dessinée, on met plusieurs mois, voire années. En général, lorsqu’on termine un album on est un peu usées et pour moi la bonne façon de rebondir c’est de changer de registre. {…} Chaque style a ses difficultés et ses facilités. J’aime beaucoup la bande dessinée de reportage, travailler sur le réel et le vécu des gens. Mais de manière générale tous les registres me plaisent.

En 2018 vous publiez le premier tome de L’Odyssée d’Hakim. C’est un ouvrage qui montre une réalité trop souvent ignorée. Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire ?

Encore une fois ce n’est pas vraiment un choix. En 2015 un événement m’avait interpellé. Il y avait eu un accident d’avion, avec un pilote qui se suicide et qui tue tous les passagers avec lui. A ce moment-là, c’était aussi le fort de la crise en Syrie, avec beaucoup de syriens qui migrent vers l’Europe. Malheureusement, cela s’accompagne de pas mal de décès en mer.  Et si on mettait en parallèle ces deux événements. On pouvait observer, à la fois, une espèce d’accoutumance face au drame humain qui se joue en méditerrané, et une espèce de sidération face à l’accident d’avions. Ça m’a beaucoup interrogé, je me suis dit que c’était bizarre de ressentir ces deux événements de manière différente, alors que ce sont deux drames. Je me suis dit qu’il y avait une difficulté de projection dans ces vies-là. On parle souvent des réfugiés de manière globale sans vraiment comprendre quels sont leurs parcours. Je me suis dit que pour gommer cette différence de projection, j’allais interviewer quelqu’un qui a vécu cet exil pour comprendre ce qu’il se joue dans ces situations-là.

extrait de l'Odysee d'Hakim

Légende : Extrait de “L’Odyssée d’Hakim“ (Fabien Toulmé)

L’histoire d’Hakim est longue, difficile, parfois violente. Ça n’a pas été trop dur de rester le plus fidèle au récit ?

À partir du moment où l’on travaille sur un témoignage, il y a forcément une transformation. De la même manière que lorsque vous allez retranscrire mon interview, vous allez essayer de coller à ce que j’ai dit, mais vous allez sans doute modifier un peu, par la force des choses, en réécrivant. C’est un peu la même chose avec Hakim, évidemment je n’ai pas vécu tout ce qu’il a vécu.  Donc il y a de la mise en scène et forcément une part d’interprétation. Mais j’essaie de coller au maximum aux éléments qu’il me donne. J’essaie d’avoir énormément d’informations sur comment était l’endroit où il était, ce qu’il s’y est passé, ce que les gens ont dit. {…} Il y a une part d’interprétation qui n’est pas volontaire, c’est lié au choix de retranscrire un témoignage. Pour autant sa reste l’histoire d’Hakim il s’y est reconnu ainsi que pas mal de réfugiés qui ont pu le lire et qui ont vécu un peu les mêmes expériences. Mais c’est sûr que c’est mon interprétation du témoignage d’Hakim.

Odyssee d'Hakim

Extrait de l’Odyssee d’Hakim

J’aurais une dernière question vis-à-vis de l’Odyssée d’Hakim. A l’occasion du troisième tome France Inter disait de votre œuvre quelle est d’utilité publique, vous en pensez quoi ?

Cette dimension postérieure à la réalisation de l’œuvre c’est quelque chose que je ne maitrise pas. Lorsqu’on travaille très longtemps sur quelque chose, on perd du recul, on est dans son sujet, dans son histoire. Ce qu’il se passe après, ce sont un peu les gens qui s’en emparent et qui en font ce qu’ils veulent. J’ai conscience que le fait d’avoir raconté de l’intérieur le parcours d’un migrant facilite la compréhension du phénomène et favorise le rapprochement, l’empathie. Cependant, l’aspect d’utilité publique c’est quelque hose que je ne maitrise pas trop, mais oui j’imagine que cela doit aider à comprendre, peut-être même à faire changer certaines mentalités.

Dans vos ouvrages vous êtes souvent acteur du récit. Dans « Ce n’est pas toi que j’attendais » vous racontez votre vie et votre expérience. Dans l’Odysee d’Hakim on vous retrouve également. C’est important pour vous d’être incarné dans ces récits ? 

Finalement, le seul moment où l’on peut se poser la question de ma présence ou non c’est dans l’Odyssée d’Hakim. Dans cet ouvrage l’idée s’était aussi de montrer les coulisses de ce qui s’est passé. Montrer qu’il y a des parcours pouvant paraître incroyables, on peut penser que ces gens sont hors de la réalité. Lorsque je me représente en train d’interviewer Hakim, c’est pour montrer que ce sont des gens que l’on côtoie. Ce sont des gens incroyables avec des destins incroyables, et bien souvent on les ignore parce qu’ils vivent dans une autre réalité. Hakim a de la chance il vit dans un appartement, mais souvent ils vivent dans des conditions assez précaires. Donc le fait de me représenter et mettre en avant ces moments où l’on échange, c’est aussi pour montrer qu’on est dans une proximité. Que l’on peut rencontrer ces personnes si on le souhaite, il suffit d’aller leur parler et de prendre le temps.

Autoportrait de Fabien Toulme

Autoportrait de Fabien Toulmé dans “Ce n’est pas toi que j’attendais“

Pour conclure cette interview j’aimerais revenir sur le festival. Quel a été votre ressenti au cours de l’événement ?

Le Liban est un pays où je me suis rendu plusieurs fois. La dernière fois c’était en 2019 au début de “la révolution“ et c’était un moment où il y avait une sorte d’énergie, quelque chose d’assez puissant que je pouvais ressentir, une espérance de changement vis-à-vis du système.  Et là deux ans après, je sens un peu de désenchantement, de tristesse. C’est quand même un pays qui a subi de plein fouet une explosion énorme, comme beaucoup de pays la crise du covid, une crise financière énorme, avec ce qui s’y ajoute, des coupures d’électricité, une pénurie d’essence, …, c’est vraiment un pays qui prend des coups de tous les côtés. Pour autant, j’ai eu la sensation que ce festival était un moment un peu hors du quotidien, évidemment cela concerne une petite frange de la population. Mais en tout cas pour les gens que j’ai pu croiser j’ai eu l’impression que c’était une bouffée d’air dans un quotidien pas très facile.

 

 

« Je pense que la culture peut aider à tenir le coup et à garder espoir autant que possible. » ainsi témoigne aussi Brigitte Findakly, dessinatrice d’origine Irakienne, son ressenti à son arrivée à Beyrouth, dans l’interview qu’elle a donné à yomkom à la même occasion.

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