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Mais que se passe-t-il en France en ce moment ? Les explications derrière la violence des émeutes

La semaine dernière, je me trouvais en France pour un court séjour avant de retourner à Beyrouth lorsque le pays est devenu le théâtre d’importantes émeutes urbaines. Dans la nuit du jeudi au vendredi, je suis tombé en plein Paris sur plusieurs poubelles brûlées et quelques barricades au milieu des rues. En me rendant à l’aéroport d’Orly le lendemain matin, j’ai même vu devant moi des personnes cagoulées courir puis partir en voiture. Ces scènes, minuscule échantillon de ce qui se passait alors partout en France, faisaient suite à la mort de Nahel M., 17 ans et issu du quartier populaire de Nanterre en banlieue de Paris, tué au volant d’une voiture mardi 27 juin par le tir d’un policier après un refus d’obtempérer. Entre voitures brûlées, magasins pillés et commissariats attaqués, la réaction extrême d’une partie des jeunes venant de zones défavorisées dénote un problème plus large que les dérives de la police française : celui d’une société fracturée.

L’importance de comprendre l’origine des émeutes en France

Nous sommes le vendredi 30 juin. Je suis de retour au Liban pour débuter mon stage chez YomKom, après un séjour d’une dizaine de jours en France. Lorsque je retrouve mes amis libanais, la première question qu’ils me posent est « mais que se passe-t-il en France en ce moment ? Tout est en train de brûler ! ». Je me doutais bien que l’image renvoyée par les médias depuis le début des événements allait soulever beaucoup d’interrogations, rappelant les récentes manifestations du début d’année contre la réforme des retraites. Mais je ne pensais pas que les raisons de ces violences seraient si floues pour qui en aurait entendu parler.

Et pourtant, lorsque l’incident du samedi 1er juillet de Kornet el-Saouda au Nord du Liban s’est produit, dans un contexte de conflit communautaire entre Becharré et Bkaasafrine, je me suis retrouvé dans le même cas : je n’avais aucune idée de ce qui avait pu causer la mort des deux hommes. La confusion qui entoure cet événement donne lieu à une confrontation des différents points de vue de chaque camp impliqué, alimentant les tensions et pouvant par la suite aboutir à un conflit. Clarifier les causes de ce genre d’événement est donc d’une importance cruciale.

Dans le cas des événements en France, il fallut aussi démêler le vrai du faux afin de pouvoir comprendre la situation. C’est indispensable pour comprendre l’origine de ces mouvements de révolte, ceux-ci n’étant que la conséquence d’un problème plus large et non pas sa cause. De ce fait, un rappel des faits s’impose.

 

La mort de Nahel M., étincelle des émeutes urbaines

Mardi 27 juin vers 8h du matin, Nahel M., un adolescent de 17 ans issu d’un quartier populaire de Nanterre (en banlieue de Paris) et d’origine algérienne, roule avec deux amis dans une voiture de sport de location. Conduisant à vive allure sur une voie réservée au bus, il est repéré par deux policiers à moto qui décident de le contrôler. Nahel refuse de s’arrêter et continue de rouler, ce qui constitue aux yeux de la loi un « refus d’obtempérer ». Une vingtaine de minutes plus tard, alors que la voiture est bloquée dans un embouteillage, les policiers arrivent à sa fenêtre et pointent Nahel M. avec leurs armes, le menaçant d’ouvrir le feu s’il ne s’arrête pas. Le véhicule se remet à avancer, et l’un des deux agents tire sur Nahel. La balle le blesse au bras et au thorax. La voiture continue alors d’accélérer avant de rapidement s’encastrer dans du mobilier urbain. Quelques minutes plus tard, Nahel succombe à ses blessures.

C’est à la suite de la diffusion sur les réseaux sociaux de la vidéo montrant le policier tirer et provoquer la mort de ce jeune de 17 ans que les émeutes ont commencé. Ces mouvements de contestation représentaient l’expression de la colère suscitée par les conditions de son décès. Elles ont d’abord commencé dans la ville de Nanterre, où habitait Nahel M., avant de s’étendre les nuits suivantes dans la France entière.

Une marche blanche, mouvement d’hommage ou de protestation contre une injustice consistant à marcher en groupe dans la rue, a de plus été organisée jeudi 29 juin à Nanterre et a réuni des milliers de manifestants. En conséquence, de nombreuses villes ont instauré des couvre-feux interdisant aux habitants de sortir de chez eux après une certaine heure. Au total, les chiffres communiqués par le gouvernement français annoncent plus de 5000 voitures, 10 000 poubelles, 1000 bâtiments et 250 commissariats brûlés, vandalisés ou pillés.

C'est une infographique représentant le bilan chiffré des dégâts produits lors des émeutes en France.

Bilan chiffré des dégâts matériels des émeutes. Chiffres communiqués par le gouvernement français.

 
En réponse
, plus de 45 000 effectifs des forces de l’ordre, terme regroupant police et gendarmerie, ont été mobilisés chaque nuit pour tenter de contenir ces mouvements de contestation violents. Plusieurs unités d’élites, habituellement utilisées pour faire face à des menaces terroristes ou des organisations criminelles, ont même été déployés dans plusieurs villes de France comme le GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale), le Raid (Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion), ou encore la BRI (Brigade de Recherche et d’Intervention).

Après 5 nuits de protestations et plus de 3000 interpellations par les forces de l’ordre de personnes participant aux émeutes, la situation semble à présent s’être calmée. Les quelques incidents se produisant encore sont insignifiants comparés à l’ampleur des révoltes de la semaine passée.

 

Que dit la loi en France sur le refus d’obtempérer et l’utilisation des armes à feu par les forces de l’ordre ?

Le policier a donc fait usage de son arme après le refus d’obtempérer de Nahel M. Un refus d’obtempérer, c’est le fait de ne pas s’arrêter lors d’une sommation des forces de l’ordre, c’est-à-dire lorsqu’un gendarme ou un policier demande à un automobiliste de s’arrêter. Cela constitue un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende. Pour faire face à un refus d’obtempérer, les forces de l’ordre peuvent décider de suivre un véhicule pour tenter de l’arrêter, ou bien simplement noter sa plaque d’immatriculation et le convoquer plus tard dans le cas où la poursuite est trop dangereuse.

En France, l’usage des armes par les forces de l’ordre est encadré juridiquement. Avant 2017, un policier ne pouvait utiliser son arme que lorsqu’il se trouvait en situation de légitime défense, c’est-à-dire lorsqu’il sentait que sa vie était en danger. Depuis 2017, un texte de loi disponible sur le site Légifrance redéfinit les cas où un policier peut utiliser son arme à feu. Dans ce texte, il est écrit qu’utiliser son arme pour immobiliser un véhicule, comme une voiture en fuite, est possible lorsque celle-ci est susceptible d’être dangereuse pour ses passagers ou pour d’autres personnes. La loi rappelle cependant que cet usage ne peut se faire « qu’en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée ».

Or ce n’est manifestement pas le cas pour le coup de feu qui a tué Nahel M., les « conditions légales d’usage de l’arme [n’étant] pas réunies » d’après le procureur de Nanterre. En conséquence, le tribunal de Nanterre a ouvert une enquête pour homicide volontaire. Le policier en question a été placé en détention provisoire, c’est-à-dire qu’il est gardé en prison jusqu’à son jugement devant le tribunal. La famille de Nahel M. a de plus déposé plainte pour meurtre. A noter que le tribunal de Nanterre a ouvert une deuxième enquête pour « refus d’obtempérer et pour tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique ».

Une enquête du Monde démontre que, dans les faits, la loi de 2017 a rendu plus facile l’utilisation des armes à feu par les forces de l’ordre. Les tirs sur des véhicules en mouvement ont nettement augmenté depuis 2017, et le nombre de conducteurs tués par des tirs de policiers après un refus d’obtempérer a atteint le record de 13 en 2022. C’est dans ce contexte que s’inscrit le tir du policier qui a tué Nahel M.

 

Et dans la loi libanaise, qu’en est-il ?

J’ai consulté Me Soulaima Al Rassi, avocate à la cour, pour en savoir plus sur ce qu’autorise la législation libanaise dans ce type de situation.

Les conditions d’utilisation des armes à feu par les forces de l’ordre au Liban sont définies par la loi numéro 17 de la police nationale, amendée en 1990. L’article 221 de ce texte explique qu’une fois que la police a pris toutes les mesures et suivi toutes les procédures de sécurité pour calmer une situation, elle peut alors avoir recours à la force armée dans 7 cas précis permettant aux agents de police de tirer avec les armes dont ils disposent. 

Ces 7 situations sont les suivantes : 

  1. Lorsque l’autorité hiérarchique a directement donné l’ordre de tirer,
  2. En cas de légitime défense, comme stipulé dans le code pénal,
  3. Lorsqu’un individu essaye de prendre l’arme d’un agent de police par la force,
  4. Pour défendre le lieu auquel un agent a été assigné et ordonné de protéger,
  5. Pour défendre des personnes auxquelles un agent a été ordonné de protéger,
  6. Dans le cas d’un barrage, lorsqu’un véhicule sommé à plusieurs reprises de s’arrêter ne respecte pas les ordres et après présomption du policier que la personne au volant du véhicule commettait un crime,
  7. Dans le cas d’un barrage, lorsqu’un véhicule ne s’arrête pas malgré tous les signes indiquant l’obligation de marquer l’arrêt.


Dans toutes ces situations, les forces de l’ordre peuvent alors utiliser leurs armes et tirer sur les personnes impliquées. Nous retrouvons des situations similaires à la loi française, comme la situation de légitime défense, mais globalement cet article de loi est plus souple et comprend un plus vaste éventail de situations pouvant amener un agent de police à utiliser son arme à feu.

 

Les violences urbaines révélatrices de fractures dans la société française

La mort de Nahel M. a suscité énormément de réactions chez les Français, tant chez les politiques que les stars de cinéma ou de musique. Lorsque la vidéo montrant le policier tirer est apparue sur les réseaux, les réactions étaient plutôt unanimes : rien n’autorise l’utilisation d’une arme dans cette situation. Elisabeth Borne, première ministre de France, a même déclaré devant le Sénat que l’intervention n’était « manifestement pas conforme aux règles d’engagement de nos forces de l’ordre ». Seul le syndicat France Police, association ayant pour mission de défendre les intérêts des policiers, a réagi en apportant son soutien au policier sur Twitter. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, a par la suite menacé le syndicat de dissolution et le tweet a été supprimé.

Le tweet supprimé du syndicat France Police disant "Bravo aux collègues qui ont ouvert le feu sur un jeune criminel de 17 ans. En neutralisant son véhicule, ils ont protégé leur vie et celle des autres usagers de la route. Les seuls responsables de la mort de ce voyou sont ses parents, incapables d'éduquer leur fils."

Tweet du syndicat France Police saluant le tir du policier, qui a par la suite été supprimé


Dès lors que les émeutes ont pris de l’ampleur, le sujet principal de discussion a changé.

On ne parlait plus de Nahel, mais de la violence des contestations et des destructions menées par les jeunes de quartiers populaires révoltés.

La société française s’est alors divisée en plusieurs camps : certains pensent que l’exemple de Nahel et la colère de ces jeunes est révélatrice de l’échec de l’Etat français à intégrer correctement les personnes des zones défavorisées dans la société ; d’autre pensent que rien ne peut justifier ces violences malgré l’événement tragique de la mort d’un adolescent ; ou encore des points de vue plus extrêmes encouragent les émeutes ou bien à l’inverse les associent à un problème d’immigration, dont est issue une grande partie de ces jeunes.

Cette fracture se symbolise à travers deux récoltes de fonds lancées à la suite de ces événements. La première, en soutien à la famille de Nahel M., a récolté jusqu’à présent 460 000€. La seconde, en soutien au policier auteur du tir mortel, a atteint les 1,6 millions d’euros avant d’être finalement clôturée. L’écart très important entre ces chiffres est représentatif des divisions de la société française, alors qu’à la base l’opinion publique et les réactions dénoncent majoritairement le comportement du policier.

 

Un sentiment d’exclusion, facteur de révolte

Ce qui est indéniable, c’est que les réactions violentes qui ont suivi la mort de Nahel M. sont révélatrices d’un problème de fonctionnement dans la société française. Les jeunes des quartiers populaires qui se sont révoltés se sentent laissés à l’abandon, oubliés du système. Leurs chances de sortir de ces zones défavorisées via les chemins classiques de l’école et du travail sont faibles. Ils voient chez Nahel M. un ami, un frère, simplement un membre de leur entourage qui aurait pu être à sa place.

 

Graffiti de soutien à Nahel M. à Nanterre où il est écrit "Nahel c'est le petit frère de tout Nanterre, pas de justice pas de paix".

Graffiti de soutien à Nahel M. dans le quartier Pablo Picasso de Nanterre, où l’on peut lire « Nahel c’est le petit frère de tout Nanterre, pas de justice pas de paix ». AFP/Charly Triballeau 01/07/2023


Ils associent ce meurtre à l’origine familiale et sociale de Nahel et dénoncent la stigmatisation et de la différence de traitement dont ils sont victimes de la part des forces de l’ordre. Le 30 juin dernier,
l’ONU a en ce sens demandé à la France de s’attaquer « aux problèmes profonds de racisme et de discrimination » au sein de la police.

Le racisme des forces de l’ordre est un sujet tabou en France qui prend forme à travers par exemple les contrôles au faciès, se définissant par l’« acte de vérification d’identité discriminatoire exercé par une autorité, en particulier la police, à l’égard d’un individu ou d’un groupe d’individus en fonction de son origine ethnique, nationale ou religieuse, réelle ou perçue ».  Ce phénomène, souvent vécu par les populations jeunes issues de l’immigration, est effectivement un des facteurs renforçant ce sentiment d’exclusion des quartiers vis-à-vis du reste de la population française.

Ce que cette colère populaire pointe du doigt, c’est finalement le racisme systémique des institutions françaises. Le racisme systémique, c’est le fait qu’une personne subisse du fait de sa couleur de peau ou de son origine des discriminations sur différentes sphères de la société comme l’accès à l’emploi, au logement, à l’éducation ou encore la justice. Ils existent en effet de nombreuses études démontrant le fait qu’il est plus difficile pour une personne d’origine maghrébine ou subsaharienne d’obtenir en France un travail face à un autre candidat d’origine caucasienne. L’Insee, institut national de la statistique et des études économiques en France, a par exemple mené une étude de grande ampleur sur la discrimination raciale et de genre à l’embauche . Celle-ci dénote son existence et essaye de comprendre ses causes et sources. Même constat pour l’accès aux prêts bancaires ou lors de la recherche d’un appartement. Les gens des quartiers populaires ne supportent plus cette situation, qui alimente leur frustration depuis des années et qui a fini par éclater la semaine dernière.

La France  pourrait alors apprendre de ces événements et entrer dans une période de transition. La fin des émeutes ne signifie pas que le problème est résolu, car comme expliqué précédemment elles n’étaient que sa conséquence et non pas sa cause. Ca pourrait donc être l’occasion pour le gouvernement de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour adresser les problèmes de fond et éviter qu’un événement comme la mort de Nahel M. ne se reproduise, sous risque de voir éclater de nouvelles révoltes.

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